Dans ma tanière, il y a une lampe en forme de tube qui émet une lueur orangée. Je peux en modifier sa densité et sa danse car voyez-vous, il suffit que j'appuie longuement sur un bouton caché pour que sa lumière se mette à onduler comme une bougie défiant les vents d'hiver.
Dans cette tanière, il y a aussi une petite couverture de laine qui pèse de tout son poids sur mes jambes déjà recouvertes d'une couette moelleuse. Je fais paire avec un matelas de plumes bombé que mon chat, lové dans sa propre fourrure, semble lui aussi apprécier.
Dans la tanière, il y a une pile de livres qui ne baissera jamais, des écouteurs magiques pour plonger dans des bains de notes, et des carnets de toute taille, eux aussi remplis de notes.
La seule et unique fenêtre de la tanière s'ouvre sur un paysage de demies-montagnes que la neige continue d'ignorer. Les branches des arbres, mises à nu par la saison endormie, révèlent leurs trésors : nids tout ronds, feuilles grimaçantes mais coriaces, pics-vert pilonnant l'écorce rêche de leurs becs sombres.
La tanière n'est pas planquée sous les pins d'une forêt sauvage. Pourtant, je n'ai pas entendu les feux d'artifice claquer dans le ciel quand le mois de décembre s'est barré.
L'hiver est la saison propice pour profiter de ma tanière. Je m'y installe quand des flocons malhabiles commencent à tomber des nuages, et j'en ressors quand le froid ne risque plus de mordre trop fort. Rien de nouveau sous le soleil : je ne suis que l'une de ces créatures terrestres dont le corps plein de flotte se connecte au rythme des saisons.
Cela ne fait pas si longtemps que je reconnecte à ma nature animale. Je la sens si sauvage, si brute, si bestiale même qu'il m'arrive d'être surprise de me voir debout, devant le miroir, accoutrée de vêtements bien coupés. Chaque reflet me rappelle ce clivage proprement humain où nous cachons sous des tissus et des manières ce qu'il y a de plus primaire en nous.
Je cherche à faire co-exister mon animalité avec mon humanité. Habiter ma tanière durant les mois d'hiver m'aide à tisser ce lien. Quand je suis en contact avec la partie sauvage de ma nature humaine, au-delà des pulsions et des instincts, je suis bouleversée par la connexion insolente à faire partie d'un tout, sur cette Terre qui nous accueille, tout comme je suis déroutée par notre capacité à l'ignorer du mieux que nous pouvons. C'est d'une telle beauté que cela fait mal.
Le jour où les humains fêtent le passage à la nouvelle année, je prends plaisir à méditer à la lueur de ma lampe orangée plutôt que d'engloutir des litres de raisins fermentés. Chaque année, je me questionne sur notre propension à découper le temps en blocs délimités : printemps-été, automne-hiver, anniversaires et rentrée scolaire. Et puis, la fin de l'année, dont la ligne de temps s'arrête brusquement parce que nous l'avons décidé.
Une année qui s'arrête pour une autre qui commence : tout est oublié, nous pouvons repartir du bon pied. C'est le moment propice aux bilans, à la réflexion, à l'introspection, ce moment intime de communion avec nous-même pour que du chaos germe un élan nouveau, quelque chose de propre, sans fioritures, une page vierge sur laquelle il tient à nous d'inscrire un bonheur en fleur.
On regarde à l'intérieur, donc. Pour une fois. Pour une fois, nous végétons, nous hibernons, et nous pouvons éviter les conseils numériques, les questionnements en ligne et autres oracles digitaux. Dans ce passage arbitraire d'une année à une autre, c'est le moment de trifouiller à l'intérieur de soi, de prendre soin de sa vérité et de se mettre à nu dans une pièce aveugle. Ça tombe bien puisqu'au-dehors, les flocons continuent de tomber, même qu'il nous reste des semaines avant que les bourgeons piquètent les branches au détriment des pics-vert.

Je remonte ma couverture de laine sur mon ventre, ce qui invite mon chat à s'enrouler encore plus en lui-même, tête vers le bide et patte avant accrochée à celle de derrière. Une boule de poils en cercle parfait, animé d'un souffle paisible. Dans sa béatitude toute féline, mon chat m'interroge : pourquoi sortir dehors ? Et pourquoi sortir de soi ?
Quand sa troisième sieste de la journée prendra fin, l'animal reprendra sa vie et sa routine comme si de rien n'était — pas même un passage à la nouvelle année.
J'aime les lendemains de fêtes : tapis et engourdis, les humains s'abandonnent à la langueur d'un quotidien sur lequel la routine n'a pas de prise. Aux heures de pointe, il n'y a pas d'enfilade de phares dévoilant la fine pluie des routes sombres, seulement des silhouettes qui se traînent en grappes de familles plus ou moins élargies ; instants suspendus durant lesquels nous nous donnons le droit de marcher lentement, doucement, sans hâte, sans brides, comme pour repousser nos retrouvailles d'avec les enfilades de phares fourbus.
C'est l'un des moments où j'apprécie le calme des réseaux : pas de notifications en bataille, pas de masses de billets à lire en diagonale, seuls quelques notes poétiques qui se sont perdues en chemin, dans les dédales d'un algorithme qui, contrairement aux humains pleins de vin, est assoiffé de mots nouveaux et finit de crachoter, à son grand désespoir, des écrits de qualité.
La fin d'année est le seul moment où j'embrasse le découpage arbitraire de notre temps, même si je garde en tête que ce temps continue de filer dans une linéarité toute relative. Il n'y a pas de renouveau, juste de la continuité. Je savoure ces instants “pausés” où nous avons la possibilité d'être connectés à nous-mêmes, à nos proches et au Grand Tout.
Quand janvier débarque, je me planque un peu plus dans ma tanière et stoppe la danse de la flamme orangée. Je ne suis pas prête à me joindre au mouvement des silhouettes de manteaux noirs qui trottent vers un monde redevenu bavard, trop bavard, un monde qui jacasse, qui piaille, qui se sent obligé de régurgiter les constats de son introspection de fin d'année.
Janvier ressemble à un confessionnal à ciel ouvert. Sommes-nous encore capables de garder pour nous les inventaires de l'année passée ? Sommes-nous obligés de partager nos moments de mises au point intime ? Ces instants où nous sommes enfin disponibles nous rencontrer ? Est-on dans un partage généreux ou dans un partage facile qui nourrit un algorithme dénutri ? Chaque année, depuis le fond de ma tanière, j'observe qu'il est plus difficile pour le monde d'être seul et nu plutôt que de se mettre à nu devant le monde.
Un bilan récurrent : trois-cent-soixante-cinq-jours, de la joie, de la chance, de la peine, de l'amertume et de l'amour. Comme vous tous.