Un rien banal, épisode 2
Jours 32 à 57 : érotisme d'une housse de couette, balade en forêt dans un musée et aperçu déroutant d'une vache aux allures de canard.
Il y a tout juste un an, je partageais mon premier texte sur cette plateforme. Je n'avais aucune autre ambition que de le déposer là, à la vue et au su de tous, pour qu'il puisse entrer en résonance avec d'autres cœurs.
À ma grande surprise, les battements ne se sont pas fait attendre, créant une musique inespérée pour la femme perdue que j'étais alors.
Il aura fallu trois-cent-soixante-six jours de ce voyage initiatique pour retrouver les gourmandises de l'enfant que je serai toujours : la lecture, l'imaginaire et l’amour de la simplicité. Mon chemin de traverse a donc malicieusement choisi de me ramener à un point de départ plutôt que de m'amener quelque part.
Depuis, je note chaque jour les éclats de joie qui parsèment mon quotidien parfaitement quelconque. Si je suis chanceuse (et je le suis, puisque joie il y a), je les restitue sous forme de textes poétiques que je partage ici, chaque mois, pour que nous n'oublions pas que notre quête éperdue vers l'extraordinaire se cache sous des traits… un rien banals.
Jour 32. Une housse de couette
À faire son lit au carré, on en efface les formes lascives que les caprices de la nuit ont imposé à nos lits, galipettes ou non. Heureusement pour moi, je n’ai pas le réflexe ni même l’envie d’effacer les plis, de tirer sur les tissus et d’insister sur les coutures dès lors que mes pieds foulent le sol d’une nouvelle journée.
Le soir, je remarque que la teinte choisie pour ma nouvelle housse, un vert profond, impose à la chambre un caractère d’autant plus coquin, invitant à une forme d’érotisme inattendu : “Glisse-toi vers moi” murmure-t-elle au corps abattu-nu posté devant elle.
La suite : dans vos rêves.
Jour 33. Un rituel
En fin de semaine, je me retrouve devant l'écran pour pondre des mots pendant deux matinées. Sur les quelques heures allouées à cet art chéri, plusieurs sont de l'ordre de la rêverie et du fantasme.
Entre deux divagations, j'attrape au vol des phrases qui sonnent bien. Un flux magique s'invite à la fête, avant de replonger dans les choses qui n'arriveront jamais que dans ma tête.
Jour 34. Un store
Au crépuscule, les lampes projettent sur les murs de la chambre l'ombre des rêves à venir. Je laisse volontairement les meurtrières du store ouvrir l’œil pour qu'à l’aube, par un jeu de lumière en pointillé, le jour indique qu'il s'est faufilé entre les jambes de la nuit.
Jour 35. Un casque de vélo
Lorsque je ne suis pas en mouvement, l'intérieur de mon corps s'éteint en même temps que mon cerveau stagne. Le cœur branché à l'ordinateur, il ne faudrait pas s'étonner que l'inspiration ne vienne pas me rendre visite !
Qu'à cela ne tienne : me voilà à califourchon sur mon vélo, riant face au vent froid qui chatouille mes oreilles nues. Une voiture me frôle sur la route. Un jour, je tomberai dans le caniveau et on ne retrouvera que mon casque couleur moche : le reste de mon corps aura été absorbé par l'odeur de la terre.
Jour 38. Une tasse en verre
Depuis la fenêtre de mon bureau, je regarde les collines en sirotant un café. Une gorgée m’invite à porter mon regard sur la mousse de lait qui, tel un petit nuage en pleurs, dessine un tableau changeant dans l'enveloppe brune de la caféine. Les stries blanches fondent dans le liquide noir qui, bientôt, optera pour une robe noisette : théâtre quotidien de la tasse en verre.
Jour 44. Un quai de gare
Le jour baille. Sur le quai de la gare, bien que le printemps tarde à venir, les pas-trop-réveillés et moi-même ne disparaissons plus dans la pénombre de nos capuches.
Jour 45. Un bus
Le bus n’arrive pas à digérer les odeurs des corps entassés, malgré les courants d’air fouinards qui s’engouffrent avec vigueur à chaque arrêt du char. Odeurs de savon doux et de sueur macérée, mouvements de corps coincés dans des parkas dégoulinantes, lumières blafardes aux néons abattus. Plus tard, dans la journée, la porte de mon domicile s’ouvrira sur un cocon chauffé : l'impression de retourner dans le ventre qui m'a pendant des mois enveloppée.
Jour 47. Un musée
Le musée ressemble à une boîte de conserve éventrée. À l’intérieur pourtant, la lumière s’en donne à cœur joie pour traverser les salles aux hauts plafonds.
À l’étage, des pièces numérotées nous invitent à pénétrer dans des salles hors du temps. L'une d'elle, plongée dans une pénombre nuancée, divulgue par touche des photographies d’oiseaux vosgiens et de chats sauvages.
J'avance à pas prudents dans l'obscurité jusqu'à me poster devant un film contant la vie d’une forêt pendant l’hiver. Un pinson s’accroche à un tronc usé, une biche gratte la terre gelée, un lynx fend les bourrasques d’une journée agitée.
Devant l’écran, des silhouettes noires en vrac sont révélées par la blancheur de la neige filmée : ce sont de multiples têtes d’humains plus ou moins rondes dont on devine, par à-coups, la présence d’écharpes couvrant les cous.
J’ai pensé qu’il était drôle qu’en tant que créatures du monde, nous nous sentions obligées de nous déplacer dans un musée pour regarder à quoi ressemble une forêt.
Jour 48. Un fauteuil de bureau
Il m’arrive de fouler les terres gelées de bonne heure.
Je me prends alors en pleine face les ardeurs du bon matin.
Elles réveillent mon corps et lui rappelle son caractère fonceur,
et ce même si son cul restera planté sur un fauteuil mal-en-point.
Enracinement des culs dans du faux cuir : les temps modernes.
Jour 49. Une chambre à soi
J’ai la chance d’avoir une chambre à moi, comme dirait Virginia. Une petite pièce dans laquelle j’ai rapidement imposé la présence d’un large bureau, réceptacle de mes palettes d’acrylique séchée et d’histoires inventées.
J’ai récemment apposé un discret film sur une partie de l’unique fenêtre de la pièce. Le film en plastoc projette un motif qui ressemble à un champ de pissenlit mu par le vent — scénario poétique qui me protège des regards voisins sans pour autant dissimuler le paysage de cheminées vapotantes.
Jour 51. Dès l'aube
Le monde est encore endormi : cet instant-là m’émeut toujours. J’ai la sensation que tout est possible, que la folie dort encore et que les soupirs des corps empêtrés dans les couettes restent discrets.
Pendant l’hiver, j’aime me lever aux aurores, fermer les yeux non pas pour me rendormir mais pour saisir ce temps suspendu, sans rythme saccadé.
Jour 53. Un nouveau livre
Mon nouveau livre porte le parfum réconfortant de papier et d’encre mêlés. Je serai tentée de sniffer ses pages comme une droguée qui a besoin d’une bonne dose de mots tout frais pour affronter sa journée.
Aujourd’hui sera le premier jour de ma rencontre avec ce livre. Je sais que je vais savourer l’instant où j’en tournerai la toute première page : sera-t-elle laissée libre, blanche, taiseuse ? Y verrai-je une dédicace ? Une citation dont je ne pourrais saisir la pleine pensée qu’après avoir accompagné les personnages de l’ouvrage ?
Ouvrir un nouveau livre, c'est comme débuter une histoire d'amour.
Jour 57. Un troupeau
Je ne cache plus ma préférence pour un expresso rehaussé d'une touche de lait d'amande. Il est donc grand temps que j'assume le cliché de la demie-citadine perdue dans un coin à vaches ; vaches qui se sentent peut-être soulagées de ne pas avoir à me refourguer leur lait (il y en aura plus pour leurs bébés).
Ironie du sort : la dernière fois que j’ai côtoyé des bovidés, j’étais en route vers la fromagerie. Durant ma marche solitaire, j’ai aperçu un troupeau qui descendait en diagonale depuis le haut de son pré jusqu’à un enclos caché par la route des arbres.
L'une des vaches est restée en arrière : je ne sais pas si c’était un acte de rébellion — le refus de suivre le groupe comme un mouton — ou si elle était rejetée — comme un vilain petit canard greffé de pis gonflés.
À votre tour de raconter cet instant de votre mois de février où le banal a rencontré la beauté
Qu’avez-vous ressenti ? L’avez-vous même remarqué ?