Comment ne pas réussir sur Substack
Le bilan de six mois d'incursions littéraires et de mon manque total d'efforts dans la course au plus fort.
Six mois, seize chroniques, trente-cinq abonnés.
Ne me regarde pas avec pitié Marie-Charlotte, car je n'ai jamais été aussi apaisée. Non, vraiment, ne te lance pas dans cette diatribe-là : je n'ai, pour le moment, aucune envie d'écouter tes conseils pour qu'un nombre grandissant de paires d'yeux se pointent sur mes textes.
Oui, tu as raison : ces chroniques n'ont pas franchement de ligne directrice, ni vraiment de calendrier éditorial et encore moins de stratégie valant menue monnaie. Il se pourrait même que je ne cherche pas à apporter de la valeur ou à donner des astuces pour améliorer la vie des autres. Je sais, tu ne me crois pas mais je suis bel et bien là pour rien. Ou plutôt si : pour le plaisir de lire, d'écrire et de partager. Et puis, je crois que j’essaie de donner ce que d’autres auteurs ont pu m’apporter de beau et d’éclairé.
Ça a été une surprise de trouver, sur cette plateforme, des humains aussi friands du trio pluie-café-bouquin que moi. Sincèrement, c'est un plaisir sans fin de papoter avec une tribu de sensibles du bulbe bien plus intéressée par les dernières nouveautés littéraires que par les dernières tendances pour être vue.
Je vais même t'avouer quelque chose, Marie-Charlotte : à l'heure où j'écris cette chronique, je ne sais pas si ce texte sera publié. Je ne sais pas exactement où je vais avec ces phrases-là, rencontrées sur la pile de mots en vrac que j'ai accumulé pendant des années au profit de je-ne-sais-quelle-vie qui valait mieux que de tricoter des livres.
Je dirai même que je me contrefiche de savoir si mon texte respecte codes et figures de style. Mon ambition n'a pas changé, Marie-Cha : ici et maintenant, je fais ce que je veux. Tat tat tat ! Je t'arrête tout de suite : je ne suis toujours pas à la recherche de méthodes qui me feraient décoller. Pour décoller, j'ai mon imaginaire et rien que d'avoir renoué avec lui me donne des ailes.
Un jour viendra où j'aurais envie d'aller plus loin, qui sait.
Pourquoi publier, me demandes-tu ? La raison est bien égoïste, je le crains... Cependant, elle risque de te plaire : quelque chose me dit que tu es une adepte d'injonctions dopées à l'exigence de soi. Peut-être même que, parfois, tu regardes avec un mélange de pitié et de dédain toutes celles et ceux qui manquent d'ambitions particulières ou qui ne les assument guère.
Mais je m'égare, revenons à mon égoïsme (forcément). Je publie car je sais qu'ainsi, je continuerai la liaison que j'ai entamé avec les mots. J'ai beaucoup travaillé ces six derniers mois pour rafistoler la relation de couple bancale que j'entretenais avec eux. Ils n'arrêtent pas de me répéter combien ils aimeraient bâtir une vraie relation avec moi, quelque chose de solide, un mariage ou un truc du genre, tu vois. Je ne suis pas contre sauf que j'ai une fâcheuse tendance à fuir dès lors qu'on me colle, dès qu'on me voit, dès que je ressens trop fort. Étrange, non ? Comme quoi, il ne suffit pas d'aimer vraiment pour aller de l'avant.
Ah ? Trente-six abonnés Marie-Cha ! Ce qui est rigolo, c'est que je n'ai rien fait pour cela. Je passe sur la plateforme quand ça me chante, je poste de petites notes à base de chemins forestiers et de tasses de thé, je lis ce que les autres ont envie de raconter et j'échange comme bon me plaît. Faut croire que, dans la magie de la tuyauterie algorithmique, mes textes se glissent parfois sur les écrans d'inconnus.
Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas écrit : oui, ça me fait plaisir quand je vois qu'une personne a fait le choix de s'abonner à Chemins de Traverse1. Oui, ça me fait plaisir quand je reçois des commentaires. Oui, je ressens une décharge de Dopamine quand je vois apparaître une notification. Mais mon essentiel reste le même : je me suis promis d'écrire pour trois abonnés comme je le ferai si trois mille personnes choisissaient de me lire.
Je pourrais aller plus loin, je pourrais être vue, je pourrais prendre plus de place ; encore faut-il en avoir envie, que ce soit le moment, qu'un nouveau cycle ait démarré. J'ai commencé à publier des chroniques pour comprendre comment j'avais bien pu refouler de manière aussi franche et violente un désir de mots tout aussi franc et violent ; et ça m'a gavée, profondément gavée, quand on m'a suggérée de me défaire de cette ambition charnelle.
Je vais t'avouer quelque chose Marie-Chachou : j'ai toujours aimé aller à contre-courant. Mon infolettre ne s'appelle pas Chemins de Traverse pour rien2. Je suis une adulte déraisonnablement responsable avec un esprit d'adolescente rebelle inarrêtable, le tout fourré dans une âme de petite vieille qui joue aux mots mêlés. On est comme on est, que veux-tu.
C'est d'ailleurs plus ou moins ce que j'essaie de te faire comprendre, Marie-Cha : dans la vie, nous ne sommes pas obligés d'en faire des caisses. Nous avons tous des responsabilités, dont celle de choisir de rester en coulisses ou de parier sur le délice.
L'humain est un animal cyclique : il y a des périodes pour rafistoler, d'autres pour se (re)découvrir, d'autres, enfin, pour se réconcilier et s'épanouir. Dans ces moments-là, il n'y a pas de manière de faire, seulement des humanités : nous ne sommes pas tous en recherche de gloire et de récompenses à volonté.
…
Six mois, seize chroniques, trente-six abonnés,
et toute une vie pour me marier avec mes mots préférés.
Quel luxe, quand on y pense, que quelqu'un•e choisisse de consacrer quelques minutes de son temps à ce que vous partagez !
Comme quoi, il y a quand même une petite ligne directrice dans mon entreprise anarchique.
Mais qu'est-ce que c'est que la réussite au final ? Pour moi, cela est déjà de réussir à écrire avec régularité et d'y prendre plaisir.
On a trop tendance à regarder les succès en oubliant que tout a eu un début et que (presque) tout le monde a bien galéré.
Statistiquement, c'est peu, mais venant d'arriver sur Substack, j'avoue apprécier la qualité de cet écrit. Comme quoi, la qualité passe avant la quantité