Bonjour ! Je m'appelle Cécile et vous vous trouvez sur un chemin de traverse.
Ce texte est la dix-septième chronique d'un espace littéraire dédié aux rebelles-sages qui n'en font qu'à leur cœur. J'y compile des mots où les injonctions au faire et au paraître disparaissent au profit de vies simples, joyeuses et profondément connectées. Bonne lecture 🙂
"On écrit pour être lu."
C'est ce que m'ont dit deux personnes le mois dernier.
L'une m'a imposée cette évidence comme une vérité suprême alors que je ne lui avais rien demandée (ce qui lui a valu une réponse aussi acide qu'acerbe). La seconde était, au contraire, quelqu'un que j'aime et que j'entends, que j'avais donc envie d'écouter à un moment où j'étais disponible pour recevoir sa pensée (à bon entendeur).
Dans un premier temps, mon ego (ce gosse en pleine crise perpétuelle de terrible two) a intérieurement gueulé quelque chose du style : "Comment ça, on écrit pour être lu ? Mais non, pas du tout ! C'est pas vrai ! Je suis pas si auto-centrée que ça, d'abord !1"
Quand il s'est tu, j'ai pu reprendre un fil de pensées raisonnées et comprendre que je n’étais pas tellement d'accord avec cette affirmation ; car au final, on n'écrit pas toujours pour être lu : on choisit de publier pour être lu.
Dans notre course à la gloire et au succès, il semble naturel que toute personne qui mélange des mots pour cuisiner des histoires a une seule et unique ambition : être publié pour que des lecteurs se régalent de leur dernière popotte et ajoutent cinq étoiles sur le Hall of Fame des mots sans grumeaux.
Mais quand on y pense, combien d'humains écrivent sans autre intention que de se décharger de leurs soucis, de laisser s'exprimer leur art ou de s'amuser avec leur imagination ? Cet art, ce hobby, ce plaisir doit-il forcément être exploité ?
J'écris et publie des chroniques ici, sur Substack, mais derrière cette vitrine de mes bonnes compositions, vous ne voyez pas le tas de phrases en vrac qui s'accrochent, résistent et finissent par échouer en bas de documents Word abandonnés ; et ça n'a aucune importance puisque ces mots-là ne sont pas nés d'une intention de publier quoique ce soit : ils sont de l'ordre de l'intime et du jeu.
Les textes que je publie ont, à mes yeux, une saveur particulière qui méritent d'être partagée. Les publier, c'est vous convier à la fête plutôt que de dîner seule à la lumière d'un plateau-repas sauce jambon-coquillettes.
Alors, pourquoi écrit-on ?
Ou plutôt : pourquoi choisit-on de partager nos mots ? Faut-il forcément y accoler l'attente d'être adoubé ? Au-delà d'un challenge ou d'une fierté personnelle, partager ses écrits n'est-il pas aussi un acte généreux, voir courageux ? Car il a fallu aller les chercher, ces histoires qui, au départ, n'étaient rien d'autre que des idées nébuleuses, la farce d'un cerveau créatif, des colliers aux chaînes emmêlées.
On écrit pour être lu, et pour plein d'autres raisons, encore.
Laissez-moi vous raconter une histoire…
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La route qui sépare l'école de la maison est une longue ligne droite cernée de deux buttes de terre herbeuse. Elle démarre sous le pont d'une départementale encombrée et termine sa course dans le labyrinthe d'un lotissement résidentiel tout lisse et tout propre.
Deux gigantesques panneaux publicitaires s'imposent aux regards dès lors que toute voiture dépasse le pont. Assise à l'arrière, du haut de mes cinq ans, je suis fascinée par le mélange de couleurs et de formes qui composent les affiches multicolores. Je commence à comprendre qu'un A est un A, que des lettres foutues ensemble forment des mots, mais impossible pour moi de comprendre ce que ces panneaux racontent. Quelle histoire peuvent-ils bien divulguer, comme ça, au grand jour, sans retenue ? J'ai hâte d'apprendre à lire pour que je puisse éclaircir ce mystère.
En attendant, direction la bibliothèque.
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Quelques années plus tard, je m'enracine sur le terrain de foot de l'école : je vais encore être l'une des dernières à être choisie pour faire partie d'une équipe. Enfin, j'ai encore de l'espoir puisque deux autres de mes camarades — une gamine obèse et un gamin malingre au visage bouffé par des lunettes — se disputent la place des gens-pas-comme-il-faut.
Avant d'en arriver à ce spectacle pathétique, de premiers noms ont résonné avec assurance et fierté. Sourires entendus, tapes dans la main, next. Puis, ce fut au tour des autres, les neutres, les pas-comme-il-faut-mais-un-peu-quand-même, ceux qu'on choisit en se disant qu'ils peuvent éventuellement servir. Ceux-là cachent non sans peine le soulagement d'entendre leur nom sortir de la bouche des capitaines d'équipe, coqs à la mâchoire carrée et aux cuisses bien tendues.
La flopée d'élèves se clairsème et les chefs se défient du regard pendant que la grosse, le chétif et l'intello regardent leurs pieds. Je guette le moment fatidique où les populaires n'auront plus le choix que de prononcer mon prénom dans un soupir de contrition mal caché.
Dans deux heures, je pourrais enlever mes baskets et retourner me confondre avec mon imaginaire.
Quand j'étais enfant, j'avais donc deux ambitions :
Comprendre comment ça marchait, cette histoire de mots qui façonnent des histoires (d'autant que je sentais bien que les adultes me racontaient des cracks) ;
Me réfugier dans des univers littéraires plus sympatoches et fantasques que celui que j'avais sous les yeux, celui où des tribus de gens-pas-comme-il-faut n’avaient pas encore de place pour exister.
Quand j'ai su lire, puis quand le monde m'a fait mal, les mots ont été d’une grande aide pour la petite fille que j’étais. La sérénité et la gratitude profondes que me procure la lecture sont gravées en moi. Aujourd'hui encore, je sais qu'il me suffit de choper un bouquin pour aller mieux dans les moments tourmentés.
Les auteurs savent-ils qu'ils détiennent un tel pouvoir ? Je ne saurais jamais assez les remercier, eux qui ont eu le cran, la créativité, la force, la hargne, la foi, l'énergie et la noblesse de s'accrocher à leurs personnages, à leurs réflexions et à leurs intrigues jusqu'à ce qu'elles atterrissent sous les yeux de la gosse qui tentait de décrypter des affiches publicitaires en croyant qu’elles contaient des histoires fabuleuses.
Les écrivains m'ont aidée à me construire, à rêver, à être et à ressentir, profondément. Écrire et publier aujourd'hui, c'est remercier et vouloir faire comme ceux qui ont la pugnacité et le cœur de partager leurs histoires et de déclencher des émotions que je cachais dans tous les recoins de mon petit corps sensible2.
Pourquoi publie-t-on ?
On publie pour être lu, c'est bien vrai. Est-ce systématiquement pour forcer la gloire et faire commerce ? Pas forcément, même si ce n'est pas repoussant.
Je prends beaucoup de plaisir à aller rencontrer des mots, les faire papoter puis compoter pour tester les saveurs de nouvelles recettes littéraires. Quand je choisis de les publier, ma plus belle récompense se trouve dans la résonance qu'elle a dans le cœur des autres. Si cet écho se mue en émotions partagées, cela veut dire que j'ai trouvé les bons mots, même s'il n'y a pas de travail littéraire ou grammatical poussé. Écrire et publier, donc — est un acte aussi égoïste qu'intime, aussi généreux qu'intéressé.
Si en me lisant, vous ressentez, vous êtes portés, vous êtes touchés, rassurés et émus, ça veut dire que j'ai réussi à instiller du mouvement en vous, et là est toute la magie de l’écriture partagée. Dans ces cas-là, je me rappelle pourquoi j'écris et, surtout, pourquoi je publie.
Et vous, pourquoi publiez-vous ?
Spoiler alert : on est tous vachement intéressé par nous-mêmes, notre personne, ainsi que notre nombril.
J’apprendrais bien plus tard que je suis une hypersensible avant même que ce soit tendance. Comme quoi, les populaires auraient dû me choisir, ils auraient eu un coup d'avance.
Je publie pour laisser une trace de ce que je traverse, que ça puisse servir à un autre Irvin ou à celui que j'étais il y a 5 ans.
Ce sont les témoignages qui me sortent la tête de l'eau, alors j'essaye de rendre ça en faisant la même chose.
Il y a aussi l'envie de libérer la parole sur ce sujet tabou qu'est la santé mentale (La Grande Cause, L O L).
Plutôt que de faire de grands discours à 2 balles, je préfère montrer l'envers du décor. Si montrer ce que je fais peu inciter les gens à faire les démarches pour se prendre en main, ou aller vers leur proche, même une personne, j'ai accompli ce que je voulais.
Parce que j’aime les mots,parce que j’aime écrire des histoires. Et puis aussi, pour pouvoir relire plus tard et sentir comment je me trouvais à cette époque.
En effet, le temps lisse toutes les choses et fait disparaître les nuances. .